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Coup de projecteur - Améliorer la qualité de l’eau dans la région de la Manche grâce aux paiements pour services environnementaux

29/04/2022

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Entretien avec les partenaires du projet CPES : Laurence Couldrick, directeur général du Westcountry River Trust et Lucile Badouel, chargée de communication pour projets Interreg auprès du Syndicat Mixte du Grand Bassin de l’Oust.

 

 

Lancé en novembre 2017, le projet Channel Payments for Ecosystem Services (CPES) vise à améliorer la qualité de l’eau dans les rivières et les lacs situés dans le sud de l’Angleterre et le nord de la France grâce à la mise en œuvre de programmes de paiements pour services environnementaux dans six bassins versants pilotes.

Les Paiements pour services environnementaux (PSE) sont des dispositifs dans lesquels les gestionnaires volontaires des terres sont payés par les bénéficiaires des services environnementaux (c’est-à-dire les compagnies des eaux, les sites touristiques, etc.) afin d’adopter des méthodes agricoles plus efficaces vis-à-vis de la gestion des éléments nutritifs.

Ces dispositifs contribuent à une amélioration significative de l’état écologique du système fluvial et, en même temps, peuvent protéger les agriculteurs contre les pertes à des niveaux supérieurs à ceux prévus par les réglementations et politiques environnementales actuelles.

 

Les paiements pour services environnementaux (PSE) représentent un concept intéressant et, d’après de nombreuses personnes, constituent une méthode efficace afin de préserver l’environnement naturel. Quelle est la logique derrière les programmes PSE et pourquoi les avez-vous placés au cœur de votre projet ?

Lucile : La logique derrière les paiements pour services environnementaux (PSE) est de financer des pratiques vertueuses dans le milieu agricole allant au-delà de la réglementation en vigueur. Ces actions de nature agricole permettent l’amélioration et la préservation d’une série de services environnementaux, pouvant être liés à des objectifs tels que la préservation de la biodiversité, le stockage du carbone ou l’amélioration de la qualité de l’eau.

Ce dernier aspect constitue l’objectif principal du projet CPES. La mise en œuvre de ces services nous permet de travailler en amont à la préservation des captages d’eau, en utilisant efficacement les fonds qui ne sont distribués qu’aux gestionnaires des terres.

 

Sur le site Web de votre projet, vous mentionnez que d’anciens projets ont démontré la viabilité des PSE, mais n’ont pas testé leur durabilité commerciale. Pourriez-vous nous en dire plus sur cet aspect crucial ? Pourquoi est-ce important et comment l’abordez-vous ?

Laurence : Le Westcountry River Trust était le partenaire principal du projet WATER dans le cadre du précédent programme Interreg. À cette époque, le concept de paiements pour services environnementaux, et donc l’idée que le marché corrige certains des problèmes que nous voyons dans la société, en était encore à ses balbutiements.

Il y a eu quelques premiers exemples de ce type dans l’industrie de l’eau minérale en bouteille en France, où Vittel (Nestlé Waters) a financé un partenariat avec des agriculteurs du nord de la France afin de protéger ses sources d’eau du risque de contamination par les nitrates. Nous savions que le marché de la qualité de l’eau était source de grandes opportunités et en effet, il est maintenant devenu courant pour les compagnies des eaux au Royaume-Uni d’investir dans la gestion des bassins versants par le biais de systèmes de PSE. Nous savions également qu’il y aurait d’autres acteurs intéressés par ce nouveau mécanisme, nous avons donc voulu obtenir une meilleure compréhension des marchés potentiels autour de ce domaine.

Le projet CPES n’a pas seulement examiné la durabilité des marchés de la qualité de l’eau et des PSE en tant que concept, mais il nous a également permis de comprendre les principaux facteurs qui peuvent influencer positivement ou négativement le marché, par exemple à quel point il est facile d’identifier les avantages des services que vous souhaitez acheter. Les résultats peuvent être relativement rapides – c’est le cas pour les améliorations écologiques des eaux de surface – ou ne pas être ressenties avant 20 ou 30 ans – comme dans les captages d’eau souterraine.

 

Pouvez-vous nous parler du large éventail de parties prenantes intéressées par les actions du projet CPES ? Comment parvenez-vous à vous engager avec elles ?

Lucile : Il est vrai que le projet implique un large éventail de parties prenantes. Il y a des techniciens, des agriculteurs et des habitants de la région qui viennent nous rendre visite parce qu’ils sont intéressés par nos activités. L’objectif est, en fait, d’améliorer leur vie quotidienne, car ils sont également affectés par les problèmes environnementaux que nous visons à prévenir. L’aspect local est d’importance capitale. Bien sûr, nous sommes également en contact avec des responsables élus, qui entretiennent des relations solides avec les parties prenantes locales et sont intéressés par la préservation de leur territoire.

Sur le site pilote du Lac au Duc, où je travaille, les relations avec et entre les différents acteurs impliqués sont basées sur la confiance et la responsabilité. Nous mettons beaucoup l’accent sur ces facteurs, ce qui nous permet d’impliquer les différentes parties prenantes dans un processus de co-création du projet. C’est une caractéristique très intéressante du projet CPES.

 

Avez-vous constaté des différences majeures entre la mise en œuvre côté britannique et côté français des dispositifs de PSE ? Avez-vous identifié des bonnes pratiques d’un côté de la Manche que vous avez adoptées dans les autres sites pilotes ?

Laurence : La France et le Royaume-Uni partagent des géographies, des géologies et une histoire similaires. Cependant, il y a des différences sur certains aspects tels que la propriété foncière, mais également des obstacles à la location, ce qui représente un problème. Cependant, une différence majeure et fondamentale est la place prépondérante du secteur caritatif au Royaume-Uni.

Les organisations comme les nôtres (le Westcountry River Trust) jouent un rôle majeur dans les paiements pour services environnementaux au Royaume-Uni, agissant comme une sorte d’intermédiaire. Nous pouvons travailler à la fois avec des entreprises qui s’intéressent aux PSE et des agriculteurs, et aider à conclure des accords entre eux.

En France, les organisations caritatives n’ont pas le même rôle que celles du Royaume-Uni. A la place, vous avez grandement tendance à travailler via des organisations publiques et le plus gros acheteur, la compagnie des eaux, est également un organisme public. En France, vous opérez par l’intermédiaire des Agences de l’Eau plutôt qu’avec des groupes caritatifs du secteur tertiaire. Ces deux options sont pertinentes et ont toutes deux des forces et des faiblesses.

Au Royaume-Uni, nous avons un mélange de différents groupes caritatifs, il n’y a donc pas une plate-forme similaire pour tous, alors qu’en France, les « Agences de l’Eau » sont opérationnelles partout. Cependant, ce sont des organismes publics et sont naturellement contraints par certaines mises en garde et réglementations. Dans la première phase du projet CPES, une grande attention a été consacrée à des questions telles que les aides d’État et les implications de l’intervention des Agences de l’Eau dans les activités agricoles. Les associations caritatives ne sont pas confrontées aux mêmes types de problèmes, car ils n’appartiennent pas au secteur public.

 

L’un des objectifs de votre projet était d’examiner comment mieux intégrer les systèmes de PSE dans les politiques et réglementations environnementales actuellement en vigueur aux niveaux européen et national. Comment favorisez-vous cet aspect ?

Laurence : L’une des choses auxquelles aucun d’entre nous ne s’attendait lorsque nous avons lancé le projet CPES était le Brexit. En effet, au début, nous pensions tous travailler sur les recommandations de la Politique agricole commune (PAC), mais dès que le Brexit s’est produit, nous avons dû commencer à emprunter d’autres chemins. Nous avons donc travaillé côté français sur la PAC tandis que nous nous sommes davantage concentrés sur le dispositif remplaçant la PAC au Royaume-Uni. Ces deux politiques agricoles sont encore très alignées, et elles suivent une direction similaire – argent public pour biens publics, ce qui s’inscrit aisément dans la discussion menée par CPES, mais cette situation a créé une complexité qui n’était pas là lorsque nous avons commencé le projet.

Lucile : Au-delà des politiques nationales et européennes, nos propres idées, tant du côté français que du côté anglais, seront en mesure de fournir des livrables qui pourront être utilisés au niveau local, ce qui est crucial. En effet, il est primordial que les caractéristiques territoriales soient prises en considération lors de la mise en œuvre des dispositifs de PSE. Il y aura des livrables politiques pour les élus et des livrables plus techniques pour les techniciens locaux afin de mettre en place des dispositifs de PSE adaptés aux territoires.

 

Quelles sont les prochaines étapes de votre projet ?

Laurence : Le projet touche à sa fin et une grande partie de nos échanges se concentrent désormais sur l’avenir des PSE et sur la façon dont nous pouvons les développer à l’avenir.

La question est maintenant de savoir si nous pouvons identifier d’autres marchés pertinents opérationnels dans la même zone, qui peuvent constituer une contribution supplémentaire à la qualité de l’eau. En effet, les mesures qui améliorent la qualité de l’eau jouent généralement un rôle dans la gestion des risques d’inondation et de sécheresse ou la séquestration du carbone. Ces marchés sont loin d’être aussi développés que le marché de la qualité de l’eau.

Le potentiel du marché de la compensation carbone augmente, mais il y a encore de gros points d’interrogation : qui peut réaliser ces achats, combien de réductions d’émissions doit-on atteindre en premier avant d’être autorisé à compenser, qui peut compenser et dans quelle mesure est-ce un processus authentique ? Et si une compagnie des eaux fait l’achat d’améliorations de la qualité de l’eau qui séquestrent également le carbone, qui possède ce carbone : est-ce la compagnie des eaux, est-ce l’agriculteur ? Est-ce que cela peut être vendu à quelqu’un d’autre ?

Il y a des problèmes conséquents en ce moment autour de l’additionnalité des paiements, de la longévité de toute sorte de mesure que nous mettons en œuvre, de sa conditionnalité – savons-nous vraiment ce que nous payons ? – et enfin de sa légalité : est-ce au-delà de ce qu’indique la réglementation ou dans son cadre ? Ces quatre facteurs nous font nous questionner sur la manière nous pouvons faire fonctionner de multiples dispositifs de paiements pour systèmes écosystémiques : je pense que c’est là que l’avenir se trouve.

 

CPES est un projet de 4 M€ avec une participation du FEDER de 2,7 M€. Elle compte onze partenaires des deux côtés de la Manche : Université de Chichester, Syndicat Mixte du Grand Bassin de l’Oust, Agence de l’Environnement, Southern Water Services, Université de Rennes I, Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Westcountry River Trust, Portsmouth Water, South Downs National Parks Authority, Sara Hernandez Consulting.

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